Représentation unique, ce soir au caveau Saint Estèphe,
Venez découvrir les choeurs enfiévrés de Saint Aimant les Gueuzes
La célèbre chorale mixte du couvent de Sainte Ursuline en Chardaigne,
et les saintes liqueurs de Saint Mignon de Provence
Cornettes frites à volonté!
Entrée gratuite pour les baptisés
L'affiche à base de pelure d'oignons des franciscains de l'Abbaye du Salut Messeigneurs fleurait bon le Saint Marcellin qui la maintenait au mur, et la canaille. En ces temps de trivialité agnostique, un peu d'esprit (de vin certes, mais d'esprit tout de même), paraissaît la meilleure chose à faire d'un jour du seigneur goûtu comme une hostie sans eau.
Aussi mes frères et moi avions décidé, ni une ni deux, et sans l'avis du supérieur, d'aller traîner nos chapelets dans cette cave tentatrice. Enfilant nos plus belles bures, et les sandales cirées, nous nous fîmes beaux comme des tonsurés de première classe, et partîmes gaiement chasser la cornette.
Le chemin, au milieu des vignes du seigneur, promettait à nos âmes pêcheresse une belle soirée. Déjà Frère Alceste, pourtant si peu disert d'ordinaire, commençait à babiller sur les belles de Sainte Sophie, et la Révérende Mère, qui venait d'arriver. Frère Isidore, mon aîné, paraissait déjà ivre à l'idée d'une Sainte Trinité, ce mélange de liqueurs herbacées si puissant, qu'il vous faisait voir Dieu, et lui parler en privé encore.
Quant à votre serviteur, il espérait bien goûter à tous ces fruits défendus sous l'oeil indulgent d'un créateur qu'il ne connaissait que trop bien. Quand on passe sa vie à aimer autrui, il faut bien trouver des compensations, non?
C'est tout auréolés des douces promesses d'une soirée de communion avec les enfants du Seigneurs, que nous parvinmes, le pied sale mais léger, à l'entrée du caveau Saint Estèphe, à la croisée des... Vous aimeriez connaître l'endroit, n'est-ce pas? Mais je ne peux rien révéler encore, moins vous en saurez, et plus pure sera votre âme.
A peine étions nous arrivés, donc, que nous fûmes accueillis de manière bien peu chrétienne par un Teutonique de la pire espèce, celle qui est armée. « Papeer », vociféra le gaillard en jetant sur nous le regard aimable d'un Luthérien en Chapelle Sixtine. « Papeer, Bitte! ».
Résistant au besoin impérieux de collaborer qui nous remontait du drapeau, nous entreprîmes de négocier. Mais le bougre manifestait à notre égard la compréhension et la sympathie d'un Torquemada en puissance, aussi fallut-il en passer par les Voies du Seigneur*, qui sont impénétrables, mais bien maîtrisées donnent des résultats assez satisfaisants.
Une fois le cerbère maîtrisé, baillonné et ligoté, nous lui administrâmes quelques saints sacrements cloutés au niveau du scrotum en guise d'Ave Maria, puis pénétrâmes le Saint des Saints.
Un escalier sombre s'enfoncait dans les entrailles d'Hadès, et nous le descendimes à pas mesurés, le nez aux aguets dans l'obscurité. En bas des marches, un rideau masquait l'entrée du lieu sacré. Un silence religieux baignait l'antichambre, et c'est curieux mais un peu déconfit que nous passâmes l'épaisse pourpre.
Un décorum de cathédrale nous y attendait. Les voûtes sculptées de mains florentines vibraient dans l'air épais, chargé de la fumée de cierges de consécration, aux musiques célestes de nonnes déchainées, qui, juchées sur l'autel servant de scène, louaient le seigneur d'un swing endiablé.
Des bars improvisés étaient montés dans chaque recoin, chaque alcôve, et résonnaient déjà des rires béats des pêcheurs confessés, et baptisés. Au centre de la salle, on avait aménagé une piste, et déjà quelques aventureux se faisaient de l'oeil en coin, glissaient imperceptiblement vers un déhanchement de qui de la hanche, qui du plevis, vers un sabbat exotique et païen.
Soudain, les trompettes de l'archange se sont mises à sonner, et l'air vibrillonnait de lumière céleste, et tous les corps, hommes et femmes de Dieu, tous se sont emmêlés, comme irrésistiblement attirés par une mécanique céleste! Tout a viré au bleu!
Et alors?
Alors, mon père, c'est là que je me suis réveillé...
* Les Bénédictins sont peu prolixes sur les Voies du Seigneur, véritable Art de la Guerre Sainte permettant à celui qui le maîtrise de contrôler le moindre muscle, la moindre pensée, et de se transformer en machine à emboutir, démembrer, étriper, décerverler, puis convertir hérétiques et mécréants. D 'ailleurs, les Voies du Seigneur ne sont qu'une rumeur, de même que le Saint Office n'est qu'un bureau d'archivages.