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4 octobre 2008 6 04 /10 /octobre /2008 18:05

Abigael Mousqueton avait une passion. A l’heure où certaines tricotent en marmonnant des barboteuses allergènes pour les petits-enfants des autres, Abigael aimait à collectionner les files. Vêtue de sa popeline chargée de souvenirs, armée de son cabas rayé, elle se faufilait en catimini dans les allées pour se poster, tremblante et fébrile, au cœur des néants d’attente, au creux des files.

 


Tout y passait, de la poste au marché, en passant par la trogne rubiconde et joviale du boucher. Elle y passait ses jours, et ses soirées, dandinant son cabas expert entre un couple englué et un vieux célibataire, dans l’espoir secret de se voir contester, et brandir victorieuse une carte rose fané, autrefois vermeil. Les jours de peu d’affluence la laissaient sans sommeil, et elle se faisait un devoir de passer ses noëls dans les grands magasins, ses étés à Saint Juan les pins, les jours de grève sur le quai des gares, où sa mine incongrue choquait les voyageurs hagards.


Un jour qu’elle dodelinait gentiment, frétillante à l’idée d’une après-midi à la sécurité sociale, Abigael se fit renverser. On fit ce qui devait être fait, on alla la parquer dans le couloir d’attente des urgences débordées. Sentant son heure venir, elle se prit à douter, et voulu sans attendre passer en premier. Hélant l’infirmier qui passait par mégarde, elle lui dit : jeune homme, ne peut-on me soigner ?

Le pauvre homme, défait et résigné, lui répondit d’un haussement d’épaule : il va falloir patienter.


Ainsi mourut Abigael Mousqueton, dans une file comme elle l’aurait souhaité, mais en queue de peloton. Gageons qu‘à l’heure dernière du jugement, l’on verra au firmament, une petite vieille et son cabas arpentant les cieux, prête à resquiller.

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