Depuis quelques temps je n’étais plus moi-même. Hagard, les traits tirés, je traînais la semelle. Si je gardais la tête dans les étoiles, mon corps, lui, se faisait porter pâle. Et si mes idées savaient me sustenter, lui ne rêvait que de soleil et de cocotiers. Aussi pour ne pas le surmener, j’ai décidé de lui donner congé.
Alors mon corps s’est absenté pour aller faire la bringue. Il voulait voir Rio, le carnaval, aller danser. Pas de problème, lui ai-je dit, fais-toi plaisir. A la réflexion je n’aurai pas du le dire. Il a fait ses bagages, on s’est embrassés, je lui ai souhaité bon voyage, et on s’est séparés.
Quand il est revenu, il a eu beau faire semblant de rien, j’ai bien vu qu’il avait changé. Plus mince, c’est vrai, plus élancé, la peau douce et bronzée, la cuisse ferme et galbée. Pourtant dans mon anatomie quelque chose me tracassait, de manière insistante, comme un ongle incarné.
Car enfin, en matière carnée, il manquait tout de même quelques attributs auxquels j’étais attaché. A mes questions de plus en plus pressantes, il fût bien contraint de répondre. Il avait troqué, m’expliqua-t-il à contre-cœur, quelques morceaux de chair qu’il jugeait incongrus, contre une poitrine ferme et imberbe, qui lui avait convenu.
Abattu, décontenancé, je ne pouvais m’empêcher de m’écrier : « tu aurais pu me consulter avant le chirurgien, mon avis sur la question ne vaut donc rien ? Le coup des cils, passe encore, mais là ça va trop loin ! » C’est là que les larmes ont commencé.
Depuis, on est en froid, on n’ose plus se regarder. Quand on se croise dans le miroir, on essaie de s’éviter. Bien sûr qu’il est plus belle, cela je ne peux le nier, mais jeter tout à la poubelle pour être mieux balancée… J’ai beau faire des efforts pour nous réconcilier, explorer ma part féminine, rien n’y fait. Nous ne sommes plus en accord, et il ne fait que s’éloigner.
Les choses ne font qu’empirer. Maintenant, il veut que je l’appelle elle, et moi, je voudrais continuer comme si de rien n’était. Chaque matin c’est la guerre quand il s’agit de s’habiller, entre un jean bien lâche et un tailleur griffé. Je ne supporte plus ses diètes forcées, et elle, il faut l’admettre, mes manières de garçon manqué. Et dehors, toujours, les regards, moqueurs pour la plupart, ou pires, intéressés.
Il y a quelque chose de pourri au royaume de moi-même. Je crois que mon corps et moi, on va divorcer.