Dans l’éclat sépulcral des profondeurs abyssales repose, immense et colossale, une antique cité. Aux portes endormies veillent, le regard patricien, d’immenses coelacanthes en ultimes gardiens, et aux frontons l’on peut deviner de pâles glyphes de mollusques rongés.
Les rues d’onyx pavées offrent au voyageur absent le visage de la torpeur. Nul courant, nulle pensée, ne vient plus déflorer leur obscure splendeur. Et sur les trottoirs souillés d’alluvions, c’est à peine si quelques cérates osent, de leurs mornes lampions, illuminer un instant la chaussée.
Il n’est de bâtiment qui ne soit magistral dans sa noirceur glacée, et le promeneur ne peut qu’admirer, à l’affût, l’inquiétante beauté de ces corps bicéphales, enchâssés au tympan de demeures cathédrales.
Çà et là gisent, ténébreuse forêt d’opale érigée à la gloire de dieux abandonnés, d’étranges obélisques aux reflets acérés, qui dessinent encore à l’œil averti la funeste denture d’une forêt de pals.
A l’horizon funèbre d’une artère éventrée se profile, au cœur de l’agora, un temple assassiné. Distordant l’espace, titanesque injure à la pensée, il s’affale, sublime et mortifère, tel un gras cancrelat fait d’ors et de pierres. De ses jointures immondes semblent transpirer les horreurs indicibles qui s’y sont déroulées.
Et sur la place déserte, face aux figures orgiaques et impies, en silence agglutinées sur les tours putréfiées, le voyageur ne peut que frissonner. Mais l’envie est plus forte, il doit s’y sacrifier, et la gueule béante du sanctuaire naufragé semble l’appeler, irrésistible, le poussant malgré lui vers les portes d’airain.
Passé le vantail, une nébuleuse antichambre ouvre sur l’obscurité. Dans les couloirs vertigineux, des lueurs méphitiques, oppressant les murs, concentrent les ombres sur d’improbables bas-reliefs chargés de souillures. Il n’est de repos dans ce brumeux mausolée, ni pour l’œil, sans cesse agaçé, ni pour l’ouïe terrassée, ni pour l'esprit pourchassé.
Débouchant dans la nef, le voyageur doit s’arrêter, ahuri, devant la charpente insensée de ce chœur qui l’attend, palpitant d’une pâleur ambrée. Aux murs, sur les voûtes, jusque dans les renfoncements, s’égayent par myriades les dieux abandonnés, le regard haineux, tout en serres et en dents. Et sur les colonnes grouillantes d’esprit damnés, hurlent dans le silence les âmes pétrifiées des antiques pilleurs qui s’y sont échoués.
Enfin il le voit, il est là, sur l’autel, à peine à quelques pieds. Il pourrait d’un bond s’en saisir, et fuir ce cloaque aliéné qui le dévore tel un chancre. Mais saisi d’effroi, il ne peut bouger. Pris d’une fatale léthargie, il ne sait que sombrer.
L’œil bourbeux, encore chargé des limons du sommeil, le visiteur éveillé songe avec amertume aux platitudes de l’aube annoncée. Mais qu’importe, dès la nuit tombée, il reprendra sa quête écervelée pour trouver dans la tombe les ultimes secrets d’Atlantide révélée.