Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 novembre 2008 3 19 /11 /novembre /2008 00:00




Tout a commencé par un « pop » retentissant. Alors que je béais douillettement dans le clapotis des touches du clavier, sous le ronronnement catarrheux d’une climatisation en fin de vie, survint, bouchon de champagne lancé en orbite par une Ariane souffreteuse, une déflagration, puis plus rien.
 

D’abord tenté par l’acouphène commun, événement répandu dans la vie de bureau, je dus bientôt me rendre à l’évidence. Je semblais frappé de surdité, à en croire mon supérieur qui s’époumonait à me sacrifier les tympans. Pourtant, un sentiment fugace me titillait l’oreille.

Au vu de la mine déconfite et énervée dudit supérieur, il semblait bien que je ne sois pas le seul à être devenu soudainement dur d’oreille. Tentant une approche pragmatique, je décidais de mettre à l’épreuve ma thèse, en faisant tomber mon mug sur le sol. Rien. La règle en fer, le téléphone, une pile de dossiers ? Toujours rien. L’ordinateur ?
Le regard furibond de mon chef mit là fin à l’expérience, mais n’empêche : il semblait bel et bien que nous soyons devenus sourds. Manifestement tout l’open space semblait frappé du même mal, et à en juger par les tâches de café qui jonchèrent bientôt le linoléum de l’entreprise, mon idée avait fait du chemin.


C’est en cherchant fébrilement une explication sur Internet que nous fîmes une découverte qui allait changer nos vies : ce matin du 30 janvier à 9h41, le monde avait basculé dans la surdité la plus totale.

Rien, du pépiement des oiseaux au bourdonnement des rues, du ronflement des grues au chant approximatif des animateurs erratépistes, plus rien ne passait dans nos cavités auditives, plus rien ne faisait résonner le petit marteau ou l’encornet qui nous servaient d’esgourdes.
Rien, nada, les portugaises ensablées, sourds comme des pots, dans les chous, tout le monde dur de la feuille.


Heureusement, le gouvernement fut prompt à réagir. Dès midi, un message écrit de Matignon annonçait la mise en place d’un couvre-feu, le déploiement de l’armée « dans le calme et le silence », afin de maintenir la paix civile le temps que les oto-rhino-laryngistes et autres mécaniciens des oreillettes, réunis en congrès extraordinaire, trouvent, sinon une solution, du moins la cause du mal.

Suivait un court message du Ministère de la Santé annonçant la fin des allocations pour les tout nouveaux anciens malentendants, tandis qu’une motion proposant la prise en charge partielle de l’apprentissage du langage des signes devait être proposée avant 24 mois au parlement européen, pour avis consultatif.


Dans ce monde du silence imposé, nous étions bien dépourvus. Comment travailler? Comment se repérer sans ces sons familiers qui animaient nos journées? Comment communiquer avec nos proches, nos amis, notre facteur? Quid du bonjour balbutié dans l’ascenseur ? Quid de la symphonie malapprise sifflotée sous la douche ?


D’une gêne, ce devint bientôt un calvaire : explosion du nombre d’accidents de la route, paralysie de l’activité, effondrement de l’industrie du disque et de la téléphonie, rien ne nous fut épargné. 

Les grands experts qui devaient nous sauver, perdus en séminaires oiseux et noircissant à qui mieux mieux des tableaux noirs pour se faire entendre, finirent bientôt par sombrer dans l’indifférence la plus totale, ne sortant de leurs chaires que pour réclamer des crédits supplémentaires.
On leur renvoya un formulaire à remplir en triple exemplaire, cela les tint occupés.

 

Avec le temps, nous finîmes par nous habituer à nos vies sans voix, et de ce handicap partagé sembla naître une nouvelle solidarité, bien obligés que nous étions de nous manifester physiquement pour exister.

Au printemps, nous vivions comme si cela avait toujours été. Charlie et Buster renaissaient des cendres aux affiches des cinémas de quartiers, on redécouvrait le plaisir des billets – doux, volés, poétiques à leurs heures – Même les mémos lâchés par les directions prenaient un autre ton. Comme si, en compensation de notre perte auditive, nous avions finalement gagné un supplément d’âme.
Bien sûr restait le problème des mimes de métro qui venaient mendier quelques tickets restaurants contre une pathétique mise en boîte, mais bon, on ne peut pas tout avoir.

 

En ce beau moi de mai où les manifestations silencieuses défilaient sous un soleil encore timide, je décidais de consacrer ma journée à revisiter, le temps d’un rêve, les grandes heures du cinéma muet. Quelle joie de redécouvrir « La ruée vers l’or » dans son paquetage originel, sans chichis, sans grain de sel, dans la pureté de l’image projetée, et le génie du créateur !

Tout absorbé que j’étais par la lanterne magique, c’est à peine si je remarquais l’étourdi dans la salle et son paquet de pop corn, la main farfouillant goinfrement  dans le seau dans un « Crunch-crunch » tonitruant.

Mais mon monde s’effondra quand, dans un silence de cathédrale, une salle excédée lui répondit d’un « Chut !» monumental.


Partager cet article
Repost0

commentaires

G
Ah les cris, votre "Chut" est bien abouti !<br /> "Fin" eut été bien moins subtil...
Répondre
P
<br /> Une suite sera-t-elle utile?<br /> <br /> <br />