A l’orée du bois des roches vivait retranché un vieux capitaine d’armée en retraite.
Sa masure n’avait pas fière allure. Tout, des murs de mortier au toit obtus, tout en général, semblait en déroute. Mais, du promontoire, il pouvait dominer les feux du village, et les chemins, et les routes. A côté de sa cahute poussait un fusilier. A bout, l’arbre tirait pourtant quelques balles perdues dans les rangs de feuilles mortes, gigantesque charnier qui infestait son camp.
Le vieux capitaine passait ses journées à inspecter, armé d’un bon galon d’eau de vie, ses troupes de scolopendres, pour choisir lequel il allait pendre. Et quand il en trouvait un bon gros bien gras et tout crotté, il le secouait en riant jusqu’au mur des condamnés, et pour se donner du cœur à l’ouvrage, reprenait du galon.
Parfois quand le temps se faisait gris et enfumé, on l’entendait jusque dans la vallée chantonner « l’amour du fossoyeur », sa ballade préférée. Mais c’est sous l’orage qu’il prenait son pied, dans la fureur du tonnerre il repartait à la guerre, hurlant « Pas de quartier ! » quand tombait un éclair.
Un soir qu’il tentait d’échapper à la débâcle du rû qui bordait son Q.G., il se vit emporter, et finit noyé. La communauté, reconnaissante, décida pour lui d’ériger un monument place du marché. Mais le jour de l’enterrement, à l’heure de la mise en terre, l’on vit arriver une armée de scolopendres en rangs serrés.
Au garde à vous, briqués de frais, les insectes en armure se mirent à défiler autour de la foule, exécutant d’un pas cadencé les manœuvres tant aimées du capitaine disparu. Puis, passant un à un devant la tombe, dernier hommage au condamné, on les vit cracher.